L’inflation post-pandémique et le besoin de gestion financière au sein des entreprises agricoles

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L’inflation post-pandémique et le besoin de gestion financière au sein des entreprises agricoles

Catégorie: Finance | Sujet: Cashflow Management, Financial Literacy, Market Disruptions, Business Management

Date de publication: mars 31, 2023

Contexte

À l’occasion d’un forum national organisé à Ottawa, Gestion agricole du Canada a récemment accueilli nombre de représentants de l’industrie agricole, notamment des producteurs, des conseillers, des prêteurs, des membres d’associations et des représentants du milieu universitaire. Le forum portait sur la gestion du risque agricole au Canada, et il en est nettement ressorti que depuis 2020, la force dominante influant la prise de décision dans le secteur est l’incertitude.

Survenue soudainement sans signe avant-coureur, la pandémie de la COVID-19 a été l’élément déclencheur de tout ce changement, entraînant des interruptions dans les chaînes d’approvisionnement mondiales ainsi qu’une révision des priorités budgétaires gouvernementales.[1] Alors que le monde se relevait de la pandémie, l’augmentation de la demande a entraîné des pénuries qui ont été exacerbées par plusieurs événements, notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les tensions politiques nationales et internationales, ainsi que l’urgence croissante de la lutte contre le changement climatique, qui s’est traduite par l’adoption de nouvelles politiques, de nouveaux objectifs et de nouvelles pratiques.[2], [3]

Le résultat de cette tempête (im)parfaite est l’inflation dont nous sommes actuellement témoins, qui est passée de -0,4 % en janvier 2022 à 8,1 % en juin 2022.[4] En outre, ce phénomène a été rendu plus complexe par l’émergence de nouveaux facteurs de prix, tels que la « fossilo-inflation », l’« écolo-inflation » et la « climato-inflation », qui ont déjà commencé à avoir des répercussions sur les économies du monde entier, et ce, à l’heure où il devient urgent d’assurer une transition efficace et rapide vers la carboneutralité.[5]

 

Qu’est-ce que cela signifie pour les agriculteurs canadiens d’aujourd’hui?

Les risques liés à l’inflation ont déjà commencé à se faire sentir, notamment par le biais des hausses rapides des taux d’intérêt fixés par les banques centrales. Entre janvier 2022 et mars 2023, la Banque du Canada a fait passer son taux directeur de 0,25 % à 4,5 %.[6] Bien que ces mesures semblent avoir commencé à porter fruit, l’inflation totale s’étant résorbée à 5,2 % en février 2023,[7] l’exposition au risque lié à un prêt n’en demeure pas moins élevée pour les prêteurs en raison de l’augmentation du coût des intrants et de la baisse de la rentabilité des exploitations agricoles.[8]

Entre-temps, les prix n’évoluent pas de manière uniforme dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement (voir graphique), ce qui risque de réduire encore plus les marges de manœuvre si les prix des intrants augmentent plus rapidement que les prix des produits finaux, ce qui rend les gains de productivité d’autant plus cruciaux.

À court terme, cela signifie que les nouveaux investissements seront beaucoup plus coûteux en raison des taux d’intérêt plus élevés. Cela signifie également des prix plus élevés pour les consommateurs, puisque de nombreuses entreprises prévoient d’augmenter leurs prix, ou l’ont déjà fait.[9] En effet, les denrées alimentaires (ainsi que l’énergie) ont été cernées comme étant les deux principaux moteurs de l’inflation dont nous sommes témoins à l’heure actuelle.[10]

La main-d’œuvre se fait également plus rare, ce qui accroît d’autant plus les contraintes de temps pour les agriculteurs, en plus de nuire à leurs activités, à leur performance et à leur santé mentale.[11] Les enjeux liés à la main-d’œuvre agricole, combinés à la recherche de solutions technologiques au changement climatique et à l’amélioration de la durabilité des exploitations agricoles, ont donné lieu à des discussions sur l’automatisation des exploitations agricoles.[12]

Les consommateurs adaptent leurs habitudes alimentaires en raison des pressions sociales et politiques, et il en va de même pour leurs préférences en matière d’achat, du fait des préoccupations d’ordre économique et financier. Les chaînes d’approvisionnement évoluent en réponse aux perturbations géopolitiques et à l’urgence d’agir pour la lutte contre le changement climatique. Tous ces éléments, et bien d’autres encore, contribuent à l’incertitude qui règne actuellement sur le marché et qui pourrait, à terme, constituer un risque pour la rentabilité des exploitations agricoles.

 

Quelles seront les retombées futures pour les agriculteurs canadiens?

Malgré cette incertitude inquiétante, les investisseurs notent que les conditions actuelles pourraient inciter les agriculteurs à augmenter leur taux de production, étant donné que les inventaires mondiaux de céréales sont près de leur niveau le plus bas depuis 20 ans et que les prix ont augmenté de 25 à 50 % par rapport à leur moyenne sur 10 ans. Il convient également de noter que les investisseurs aguerris considèrent que ces facteurs indiquent que l’agriculture représente un bon secteur d’investissement à long terme, surtout si l’on tient compte de l’augmentation de la population mondiale.[13]

En ce qui concerne le changement climatique, la plupart des experts s’accordent à dire que des répercussions sur les politiques monétaires et macroéconomiques sont à prévoir.[14], [15] Nous avons déjà pu constater l’incidence du changement climatique sur la dynamique des prix, avec une tendance inflationniste, du moins pendant la période de transition énergétique. En revanche, ses répercussions sur les taux d’intérêt sont plus incertaines, mais il est clair que celles-ci se feront sentir dans un sens ou l’autre, ce qui compliquera l’élaboration de politiques monétaires et, par conséquent, la prise de décisions en matière d’investissement.[16], [17], [18]

La « climato-inflation », l’« écolo-inflation » et la « fossilo-inflation » contribueront toutes à la volatilité des prix des intrants agricoles et des produits de base au cours de la transition vers un nouveau système énergétique. Cette volatilité mixte des dépenses et des revenus exigera de solides compétences en matière de gestion ainsi que des outils de gestion du risque nouveaux ou révisés. Entre-temps, le coût du capital et des assurances connaîtra également une hausse en raison du changement climatique. Cela pourrait imposer une réévaluation du cadre dans lequel les agriculteurs font la gestion du risque financier en l’associant à un cadre de gestion du risque climatique.

En outre, l’adoption de nouvelles règles de prudence régissant la gestion du risque climatique dans les institutions financières (banques, assureurs)[19] pourrait également redéfinir la rentabilité de ces dernières en fonction de l’empreinte carbone et de l’exposition de leurs portefeuilles respectifs au changement climatique, ce qui pourrait se traduire par une augmentation des coûts de financement.[20]

 

Que peuvent faire les agriculteurs pour gérer les risques?

L’amélioration de la productivité demeure une stratégie clé d’atténuation des risques dans le contexte inflationniste actuel. Cependant, cette dernière peut affecter la planification des investissements. Cela peut se traduire par le report des améliorations de production prévues, telles que l’achat d’un nouveau tracteur ou la modernisation d’un atelier. S’il ne s’agit pas de retarder ces investissements, il pourrait plutôt être question d’investir dans la formation ou les infrastructures susceptibles de soutenir le processus de relève agricole, qui pourrait s’avérer nécessaire en raison de l’adoption de telles politiques climatiques.

La gestion du risque financier est un autre élément clé en la matière : il s’agit notamment de planifier les investissements à moyen et à long terme, de structurer le crédit de manière adéquate et de veiller à la gestion des termes et modalités des taux d’intérêt des prêts accordés. Ces mesures proactives de gestion du risque financier doivent être prises en partenariat avec votre banque et vos conseillers financiers afin d’assurer une planification solide.

En restant à l’affût des derniers développements du marché en ce qui concerne les relations commerciales mondiales, l’approvisionnement et le prix des intrants, les politiques relatives au changement climatique et les habitudes alimentaires des consommateurs, les agriculteurs peuvent également planifier les changements qu’ils pourraient envisager d’apporter à leur production et à leur méthode de production.

Compte tenu de toute cette incertitude et de toute cette instabilité, il serait judicieux d’intégrer une approche « par scénarios » dans le cadre de la planification stratégique de manière à pouvoir changer rapidement de cap de manière harmonieuse, au besoin.

 

[1] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/62f0014m/62f0014m2022014-fra.htm

[2] https://www.edc.ca/fr/article/les-dix-principaux-risques-en-2022-selon-edc.html

[3] https://www.blackrock.com/corporate/insights/blackrock-investment-institute/interactive-charts/geopolitical-risk-dashboard (en anglais seulement)

[4] https://www.banqueducanada.ca/taux/indicateurs/sommaire-des-variables-cles-relatives-a-la-politique-monetaire/principaux-indicateurs-de-linflation-et-fourchette-cible/

[5] https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2022/html/ecb.sp220317_2~dbb3582f0a.en.html (en anglais seulement)

[6] https://www.banqueducanada.ca/grandes-fonctions/politique-monetaire/taux-directeur/

[7] https://www.banqueducanada.ca/taux/indicateurs/sommaire-des-variables-cles-relatives-a-la-politique-monetaire/principaux-indicateurs-de-linflation-et-fourchette-cible/; https://www.banqueducanada.ca/2023/02/les-hausses-de-taux-fonctionnent/

[8] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/62f0014m/62f0014m2022014-fra.htm

[9] https://www.cfib-fcei.ca/fr/medias/la-hausse-du-taux-directeur-de-la-banque-du-canada-aura-un-impact-negatif-sur-7-pme-sur-10

[10] https://www.imf.org/en/Blogs/Articles/2022/09/09/cotw-how-food-and-energy-are-driving-the-global-inflation-surge (en anglais seulement)

[11] https://www.oecd.org/sdd/prices-ppp/statistical-insights-why-is-inflation-so-high-now-in-the-largest-oecd-economies-a-statistical-analysis.htm (en anglais seulement)

[12] https://iea.blob.core.windows.net/assets/c578edac-2b69-4a5b-b8a9-0d007a9a8106/Technology_Innovation_to_Accelerate_Energy_Transitions.pdf (en anglais seulement)

[13] https://www.theglobeandmail.com/investing/globe-advisor/advisor-etfs/article-why-agriculture-commodities-are-a-good-long-term-bet/ (en anglais seulement)

[14] https://www.weforum.org/agenda/2022/06/climate-change-monetary-policy-finance/ (en anglais seulement)

[15] https://www.ngfs.net/sites/default/files/medias/documents/climate_change_and_monetary_policy.pdf (en anglais seulement)

 

[16] https://www.imf.org/-/media/Files/Publications/WP/2022/English/wpiea2022258-print-pdf.ashx (en anglais seulement)

[17] https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecb.wp2744~9c3a54be4f.en.pdf (en anglais seulement)

[18] https://www.frbsf.org/wp-content/uploads/sites/4/Batten-Sowerbutts-Tanaka-Climate-change-Macroeconomic-impact-and-implications-for-monetary-policy.pdf (en anglais seulement)

[19] Par exemple, au Canada : https://www.osfi-bsif.gc.ca/fra/fi-if/rg-ro/gdn-ort/gl-ld/Pages/b15-dft.aspx; Cadre mondial : https://www.bis.org/bcbs/publ/d532.htm (en anglais seulement)

[20] https://www.ebf.eu/wp-content/uploads/2022/05/P1-worng-tool-for-the-right-purpose.pdf (en anglais seulement)